Depuis le début du vingtième siècle, on signale en Afrique de l'est, et spécialement dans les forêts autour du Mont Kenya, des lions tachetés, alors que le lion adulte a une robe de couleur fauve unie.
1) Quelques témoignages
- Au printemps 1923, G. Hamilton-Snowball traversait les Aberdares (Kenya), à près de 3500 mètres d'altitude, lorsqu'il aperçut un couple de félins :
"Je vis ce que je crus être d'abord deux léopards très fauves et paraissant délavés, à environ 200 yards [180 m] de distance.
"Comme je me tournais vers mon porteur pour prendre ma carabine (je ne portais qu'un fusil), j'entendis un nom peu familier murmuré avec excitation par tous les boys, qui avaient vu les bêtes en même temps que moi.
"-- Marozi, marozi", répétaient-ils. Comme j'enlevais le cran de sûreté, d'un même mouvement, les bêtes (ou félins) se retournèrent et en deux bonds elles disparurent dans la ceinture forestière devant laquelle je les avais surprises.
"[...] je dois ajouter que les empreintes de pattes (pugs) étaient celles d'un lion, et non d'un léopard, et que les bêtes paraissaient tachetées et de couleur fauve." (d'après Hamilton-Snowball 1948).
- En 1935, un guide kenyan du nom de Ali décrivit ainsi à Kenneth C. Gandar Dower, sa rencontre avec un couple de marozis, faite dans les Aberdares, à peine deux semaines auparavant :
"Oh, bwana Gandar, ils jouaient au soleil, ne faisant rien de plus. Il y avait un mâle et une femelle -- pas des bébés. Ils étaient plus petits qu'un lion et tachetés de partout. [...] Et ils avaient des favoris -- pas une vraie crinière -- et ils étaient plus légèrement bâtis qu'un lion -- davantage comme guépard." (d'après Dower 1937).
2) Canulars
Pas de canular à notre connaissance.
3) Indices matériels
- En 1931, un couple de lions tachetés fut abattu par un fermier du nom de Michael Trent, dans sa ferme des Aberdares, à près de 3000 mètres d'altitude : leur peau a été conservée (figure 1), et elle montre les taches caractéristiques.
Figure 1 : peau de lion tacheté abattu par Michael Trent
(d'après Dower 1937)
- des crânes de lion de petite taille ont été signalés, notamment par le naturaliste Reginald Innes Pocock (Dower 1937).
- des traces de pas plus petites que celles du lion, et attribuées au marozi, ont été relevées à plusieurs reprises (Dower 1937, Hamilton-Snowball 1948, etc.)
4) Analyse cryptozoologique
Les témoignages décrivent un lion de taille un plus petite que le lion "classique" (Panthera leo), mais dont la robe est couverte de taches caractéristiques (figure 2). L'animal est connu des indigènes du Kenya sous le nom de marozi, et son habitat d'élection semble être les forêts montagneuses du Kenya, alors que le lion est un animal de savane. Bernard Heuvelmans (1955) a suggéré qu'il s'agissait d'une sous-espèce nouvelle du lion, qu'il a proposé de nommer Panthera leo maculatus.
Figure 2 : portrait-robot du lion tacheté
(dessin © William Rebsamen, artiste animalier)
5) Hypothèses alternatives
- Bernard Heuvelmans (1955) a également envisagé qu'il s'agissait peut-être d'hybrides de lion (Panthera leo) et de léopard (Panthera pardus). Une telle hybridation, qui était inconnue à l'époque, a pu être obtenue pour la première fois en novembre 1959, au zoo de Nishinomiya au Japon, avec la naissance de deux "léopons", issus du croisement d'un léopard et d'une lionne. Toutefois, le fait que le lion tacheté soit observé dans une région très limitée de l'Afrique orientale est nettement en faveur d'un phénomène de spéciation (ou de raciation), plutôt que d'une hybridation qui devrait apparaître partout où les deux félins cohabitent, c'est-à-dire sur la majeure partie du continent africain.
- On a suggéré aussi qu'il ne s'agissait que de lions juvéniles : les lionceaux sont en effet couverts de taches, qu'ils perdent en grandissant. Mais outre l'argument géographique précédent qui reste valable, le couple abattu par Trent est manifestement adulte par la taille, et par son comportement sexuel (il s'agissait justement d'un couple, mâle et femelle, visiblement en âge de procréer).
6) Pour en savoir plus
DOWER, Kenneth C. Gandar
1935 In quest of the spotted lion. The needle in the Aberdare haystack The Field, 166 : 21 (July 06).
1937 The spotted lion. London, William Heinemann.
FLETT, G.
1949 Spotted lion. The Field, 193 : 76 (January 15).
FORAN, Major W. Robert
1950 Legendary spotted lion. The Field, 196 : 535 (September 30).
GOSS, Michael
???? In search of Africa's spotted lion. Fate : 78-91.
GROMIER, Emile
1948 La vie des animaux sauvages de l'Afrique. Paris, Payot : 203-204.
GUGGISBERG, C. A. W.
1961 Simba, vie et moeurs du lion. Paris, Payot : 59-61.
HAMILTON-SNOWBALL, G.
1948 Spotted lions. The Field, 192 : 412 (October 09).
HEUGLIN, Theodor von
1868 Reise nach Abessinien, den Gala-Ländern, Ost Sudan, und Chartum in den Jahren 1861 und 1862. Jena, H. Costenoble : 236, 438.
1877 Reise in Nordostafrika. Braunschweig, G. Westermann, 2 : 38, 57.
HEUVELMANS, Bernard
1955 Sur la piste des bêtes ignorées. Paris, Plon.
LANE, Frank W.
1950 La parade des animaux. Paris, Hachette : 250-251.
LINDBLOM, Gerhard
1920 The Akamba in British East Africa. Uppsala, Applebergs Boktryckeri Aktiebolag, 2° edition : 327.
Mc GUINNESS, Charles John
1934 Nomad. London, Methuen and Co : 64.
MECKLEMBURG, Adolf Friedrich, Herzog zu
1912 Vom Kongo zum Niger und Nil. Leipzig, F. U. Brockhaus : 234-235, 279-280.
POCOCK, Reginald Innes
1937 Note on the spotted lion of the Aberdares. In : K. G. DOWER, The spotted lion, London, Heinemann, 1937 : 317-321.
POLLARD, J. R. T.
1948 Spotted lions The Field, 192 : 553 (November 13).
1963 African zoo man. London, Robert Hale Ltd : 84-96.
SIMON, N.
1962 Between the sunlight and the thunder. London, Collins : 315.
WILLIAM of SWEDEN, Prince
1923 Among Pygmies and gorillas. London, Gyldendal : 103-104.
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